The Shape of Water
Comme un poisson dans l’eau
Tout comme l’espace, le monde aquatique semble être une inspiration intarissable pour les compositeurs. Transcrire le silence des profondeurs, un défi, source de quelques-unes des plus belles bandes originales de l’histoire. Le Grand Bleu, Finding Nemo, Thunderball ou encore The Abyss, voilà un maigre panel de ce que peut compter le genre. Pour façonner cette matière, ce son aqueux, Desplat n’est pas en reste, comme le prouvait encore, il y a quelques mois, son excellent travail pour L’odyssée. Alors lorsqu’un réalisateur à l’univers aussi marqué que del Toro vient toquer à la porte, on tend l’oreille et on écoute.
Une des qualités les plus évidentes du cinéma de Guillermo del Toro réside en cette capacité à rendre le merveilleux tangible et parfaitement perceptible aux yeux du spectateur. The Shape of Water en est une nouvelle preuve, que ce soit dans le souci des décors ou le choix de l’étalonnage, le film se drape d’une couche poisseuse palpable, provoquant parfois même un sentiment d’inconfort. C’est d’ailleurs dans un appartement immergé que s’ouvre notre histoire, imprégnée dès les premières secondes par les notes d’Alexandre Desplat, composante essentielle de ce voyage.
Du fantasme à la réalité
Un accord à la harpe, un autre à l’harmonica de verre puis, ce sifflement mélodique. Nous comprendrons plus tard, au fond d’un bus, qu’il est le chant d’amour d’une héroïne muette, Elisa. En quelques secondes émerge déjà, de notre imaginaire, la forme de l’eau. Autour de cette thématique, l’accordéon s’invite, épiant d’abord cette ligne mélodique, s’approchant petit à petit et finissant par s’entremêler avec elle. Cet accordéon, c’est déjà l’ombre de notre créature, la bête venue des eaux, attirée irrémédiablement par la voix d’une belle au panier bien garni.
L’album débute par un amour encore fantasmé, tout l’enjeu est désormais de le structurer et de le concrétiser. Elisa’s Theme, à trois temps, épuré et léger, nous brosse le personnage dans une construction chère au compositeur, proche de ses partitions les plus sensibles. Elisa and Zelda abrite cette même légèreté mais explore d’autres teintes, se rapprochant parfois d’Hugo Cabret ou Ratatouille, accordéon et sifflement oblige. Mais dans le cinéma de del Toro, la part d’ombre n’est jamais loin et la brutalité s’immisce souvent dans la poésie. Doigts sectionnés ou trou dans la joue, The Shape of Water apporte son lot de tensions. The Creature, enveloppe d’une aura mystérieuse et inquiétante notre homme poisson et oriente ainsi pour la suite les passages les plus sombres (Decency, He’s coming for you).
Romance, film fantastique et même espionnage à la Barry parfois (Spy Meeting, That isn’t good), Desplat varie les styles mais n’oublie pas son élément fédérateur, l’eau. The silence of love, Underwater Kiss, Overflow of love ou l’excellent Rainy Day aiguille l’écoute vers un final où jaillit nos deux thèmes, celui d’Elisa et celui de l’amour, Princess Without a Voice. Parfaitement conscient des références cinématographiques et musicales qui l’entourent et qui clôturent d’ailleurs l’écoute, Alexandre Desplat trouve une unité et déploie avec maitrise sa thématique, jouant avec l’instrumentation et les textures. Pas forcément novateur mais superbement ciselé, voilà une jolie pierre de plus dans une luxuriante carrière. De quoi rêver à un nouvel oscar.
The Shape of Water, bande originale d’Alexandre Desplat, à découvrir en physique chez Decca Records.