Interviews

Benjamin Wallfisch :
Rencontre avec un caméléon


Par Olivier Desbrosses 16/04/2024

Comment met-on en musique un classique de l’horreur aussi réputé que le It (Ça) de Stephen King?

Tout est venu de la collaboration avec le réalisateur. Andy avait une vision extraordinaire de la manière dont il voulait donner vie au livre. Il est lui-même excellent musicien, et comprend parfaitement ce que la musique peut apporter à la narration. Sa première préoccupation était : « Comment faisons-nous pour que ce soit aussi émouvant que possible ? » en termes de représentation des membres du Club des Ratés, avec l’idée qu’ils ne peuvent survivre qu’en tant que groupe. Toute l’histoire s’appuie sur ce principe. Il était important que la musique se construise selon le point de vue de cette connexion entre ces gamins. Bien sûr, nous savions que Pennywise, en tant qu’entité, se devait d’avoir un thème protéiforme. Et il y a aussi beaucoup de petits motifs qui sont développés, avec une emphase sur un même type d’harmonies. Mais tout a vraiment commencé avec le réalisateur, Andy, et le fait de transposer son approche sous forme d’écriture musicale.

Musicalement, vos projets sont souvent très différent, vous changez sans cesse de style…

J’ai eu la chance qu’on me confie beaucoup de genres différents, et de bénéficier de la confiance nécessaire accordée par les réalisateurs, me permettant d’essayer de nouvelles approches. Je suis très reconnaissant qu’on m’ait si souvent fait confiance à ce point. Parfois ça fonctionne, parfois non, mais vous trouvez toujours une solution lorsque vous prenez la tangente pour tenter quelque chose d’expérimental. Je ne regarde pas de films d’horreur, c’est quelque chose que je ne ferais jamais volontairement. Mais je pense que ça constitue une belle opportunité de lancer une grenade dans le genre, de voir ce qui se passe quand on secoue le cocotier. Pas juste pour la beauté du geste, gratuitement, mais pour des raisons narratives. En tant qu’artiste, je n’aime pas rester immobile, j’aime me lancer des défis à chaque fois. Ce que je peux dire, c’est que mon processus est le même à chaque fois, quel que soit le genre de film. Je refuse parfois certains projets parce que j’ai le sentiment que je n’ai rien d’unique à dire, musicalement. Il faut se connaitre soi-même, savoir où l’on va. Par exemple, je pense que Shazam! est un score que je n’aurais pas pu écrire il y a quelques années. J’avais besoin de beaucoup de préparation pour écrire quelque que chose d’aussi complexe et symphonique. Le fait que ce soit mon troisième film avec David Sandberg a beaucoup aidé, puisque je pouvais être plus audacieux que je ne l’aurais été sur le premier film que nous avons fait ensemble, juste parce que nous avons appris à nous connaitre via ces collaborations. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir cette opportunité, j’espère que ça sera toujours ainsi. En tant que compositeur, c’est toujours important de démarrer sur une page blanche, parce que c’est ce que le film mérite. On ne doit pas nécessairement reprendre quelque chose d’un autre film, mais plutôt rester ouvert.

Shazam! et Hellboy, que vous avez enchainés, sont totalement différents. L’un est tout orchestral, l’autre s’appuie sur les guitares et l’électronique. Comment passez-vous ainsi d’un style à l’autre ?

Je me préparais à Shazam! depuis bien plus longtemps. J’ai commencé à écrire il y a un an, en septembre, et nous avons enregistré en janvier. Hellboy, c’était seulement de juin à août. Mais avant, je travaillais toujours sur Shazam! dans un coin de ma tête, imaginant des thèmes. J’ai beaucoup étudié les partitions de John Williams, certaines de Jerry Goldsmith, beaucoup de Bernard Herrmann, juste pour mettre en route la musique à un niveau purement technique. Hellboy, j’étais surtout enthousiaste d’embarquer sur une franchise que j’adore, et y contribuer via quelque chose qui me fascine : mettre en avant une tonne de musique. Un ami, un guitariste britannique, Owen Garry, m’a fait découvrir un sous-genre de métal qui s’appelle djent, qui est incroyablement agressif et produit un son terrifiant. J’en ai beaucoup écouté pour me mettre dans l’ambiance. Il faut toujours débuter sur la question : « Que sera donc le langage ? Quelle sera la contrepartie musicale à l’histoire ? » Dans le cas de Hellboy, il y a tellement d’impertinence dans la performance de David Harbour que ça devait déteindre sur le score. Donc je me suis dit : « Voyons voir ce que ça donne si on fait percuter du djent et du dubstep avec un orchestre. » Est-ce que ça fontionne ? Je ne sais pas. Certains ont aimé, d’autres pas ! (rires)

Sans prendre en considération ce que Marco Beltrami et Danny Elfman ont fait précédemment ?

C’est tout à fait délibéré de ma part, parce que les films sont totalement distincts, avec une approche de l’histoire complètement différente. Mais j’aime beaucoup leurs partitions, ce sont certaines des meilleures du genre.

Un autre score récent, très  groovy, c’est King Of Thieves, qui sonne comme s’il avait été enregistré il y a 40 ans…

C’était un processus très enthousiasmant, avec la participation de certains des meilleurs musiciens du monde, plus particulièrement de Londres. J’ai toujours été fasciné par le jazz. Lorsque j’étudiai le piano, vers mes vingt ans, je voulais devenir pianiste de concert, comme mon grand-père, et j’adorais jouer du jazz et improviser. J’ai fait quelques concerts avec d’autres étudiants. Puis j’ai tout laissé de côté quand je me suis mis à la musique orchestrale. Je n’ai donc rien fait, véritablement, dans ce style. Puis est venue cette chance, cette histoire d’anciens criminels, retraités, qui se retrouvent pour un dernier vol. La musique devait leur redonner leur jeunesse. Je me suis donc glissé dans une attitude à la Quincy Jones, à la Henry Mancini, et je me suis laissé inspirer par ça. C’était aussi une grande chance de pouvoir collaborer avec mon ami Chris Egan, qui est un excellent arrangeur. Il m’a mis en contact avec d’incroyables musiciens londoniens pour constituer un big band. A partir de là, tout s’est fait naturellement.

Comment êtes-vous entré chez RCP, et comment travaillez-vous avec Hans Zimmer ?

Hans Zimmer est un très bon ami, et un mentor. J’avais loué un studio chez Remote Control, il y a six ou sept ans. En tant que locataire, j’y gère mes projets indépendamment, et je vais bientôt déménager dans mon propre studio, en début d’année prochaine. Hans a toujours été très généreux, j’ai passé des milliers d’heures en sa compagnie : à chaque fois que vous passez quelques heures avec lui, vous apprenez quelque chose. Toujours. Le mec a eu toutes les expériences imaginables dans l’industrie, tout ce à quoi vous pouvez penser, il l’a fait. Maintenant il explore ce qu’est une vie en tournée, avec son spectacle. J’ai le sentiment que cette tournée définit ce que la musique de film en live peut être, en termes d’expérience. C’est quelqu’un d’incroyablement généreux avec les jeunes musiciens, tous les musiciens, en leur donnant une chance de s’améliorer en tant que cinéastes. Je pense que c’est ce que j’ai appris de plus important avec Hans : penser en tant que cinéaste, et pas seulement en tant que compositeur. Je suis profondément heureux de cette expérience.

Texte initialement publié sur UnderScores le 12/04/2021.