Chroniques

Dolor y Gloria
Ode à la vie


Par Hubert Charrier 24/05/2019

Vingt-cinq années de collaboration et onze films, Pedro Almodóvar a trouvé en Alberto Iglesias plus qu’un simple relai musical. Depuis La Fleur de mon secret en 1995, un lien rare s’est tissé, le compositeur s’imposant au fil des projets comme le prolongement naturel d’un cinéma aigre-doux, intime et coloré. Des singularités qui s’expriment de manière évidente dans Douleur et Gloire, autofiction passionnante où la barrière entre réalité et fantasme se retrouve invariablement malmenée.

Film introspectif, thérapie même, si l’on se fie au récit, Douleur et gloire permet à Pedro Almodóvar de s’observer, dans une relative distance, à travers Salvador Mallo (Antonio Banderas). De la chemise à la coupe, l’acteur est plongé jusqu’au moindre détail, dans le quotidien du réalisateur, déambulant d’ailleurs dans une réplique fidèle de son appartement. Pourtant, l’enjeu n’est pas tellement dans l’observation de ce miroir, aussi fascinant soit-il, mais plutôt dans le chemin qu’emprunte cet alter ego pour retrouver l’équilibre et la lumière.

Ombre et lumière

De l’aveu d’Almodóvar, la partition se divise en trois pôles. Le premier, relatif au passé du personnage, propose des morceaux doux et solaire, inspirés de cette ambiance unique de Paterna, une caverne inondée par un puit de lumière. La cueva de Paterna, El primer deseo, Nocheo en la estacion de trenes, par les incursions du piano ou le travail sur les cordes, Alberto Iglesias illustre avec finesse cette réconfortante mélancolie. Autre identité, les conflits et les troubles de Salvador sont abordés à travers des motifs rapides et répétitifs, étrangement propices à l’innovation. Arreglo de cuentas, Salvador en la torre, Fumar a escondidas, autant de tentacules de cette grande pieuvre Geografia y anatomia, irrésistible passage, où les maux se décrivent concrètement, grâce aux animations originales de Juan Gatti.

La dernière ambiance, elle, s’attarde sur les moments plus intimes. La relation entre Salvador et sa mère (Encore I), le rapport à la mort (Quirofano), mais aussi les moments de vie à Madrid ou les retrouvailles avec l’amant de toujours, Federico (Reencuento de los amantes). Écrite pour un sextet à cordes avec piano et clarinette, la bande originale navigue entre les atmosphères sans heurt, résonnant ainsi avec la mise en scène suave de l’espagnol. Piano Bar y coro infantil montre bien cette étroite relation, des mains de pianiste, dans un café de Madrid, l’on glisse dans une scène d’enfance, avec une magnifique connivence entre image et musique.

Indissociable du cinéma d’Almodóvar, le travail d’Alberto Iglesias habite chaque œuvre du réalisateur avec singularité et cohésion. Entre mélancolie et optimisme, Dolor y Gloria n’est pas un élixir de jouvence mais une ode à la vie, à l’espérance et à l’amour. Un album sensible donc intelligent, nouvelle preuve s’il en fallait encore, du talent exceptionnel de ce duo ibérique.

Dolor y Gloria, bande originale d’Alberto Iglesias, à retrouver en physique chez Quartet Records.