Chroniques

Le Caire confidentiel
Enquête sonore


Par Hubert Charrier 24/10/2017

Inspiré par l’assassinat, à Dubaï, de la chanteuse libanaise Suzanne Tamim, Le Caire confidentiel tire sa force du contexte dans lequel il s’ancre. En déplaçant l’intrigue en Egypte, à l’aube du printemps arabe, Tarik Saleh décuple l’impact de son récit et oppose un système corrompu à une jeunesse excédée. Entre les deux, Noureddine, inspecteur désabusé et maillon d’une police vérolée, tente de résoudre une enquête qui le dépasse, entre pots-de-vin, pression hiérarchique et témoins supprimés. Dans cette kleptocratie, la musique de Krister Linder s'invite et renforce l’ambiance viciée du Caire avant d'accompagner jusqu’à la fronde ce peuple égyptien.

Le Caire confidentiel n’est pas de ces albums faciles, s’appréciant à la goutte, comme une douce liqueur ressortie à la moindre occasion d’une armoire poussiéreuse. Pour en savourer toute l’essence, toute l’ingénieuse construction, il convient de s’armer de patience. Midnight Birthright et Lullaby & Die sont, à ce titre, des lourdes et longues mises en bouche, nécessaires à l’épanouissement mélodique. Après plusieurs minutes, les réverbérantes sonorités de Krister Linder viennent hanter ces chambres vides et sombres. Se joue alors une étonnante enquête sonore.

Une plongée noire, étouffante et pessimiste

Intricate Falsity est une première marche vers la vérité, personnifiée en ouverture par cette mélodie au piano, claire et pure. Pendant plus d’une heure, on cherche (Afterthought,Curious Obsession), on entrevoit (Hair of the Dog, Facing the inevitable) et on trouve, parfois, quitte à s’aveugler un peu. My Roof – Their Floor et son entêtante montée se pose ainsi en sommet qui ne saura s’apprécier qu’à l’aune des sept morceaux qui le précèdent.

Hébété, prisonnier d’une toile dont on ne peut s’extirper, chaque nouvelle incursion est un nouveau coup de matraque (The Cost of Honesty, Beauty Torn). À la réalité de notre inspecteur vient s’agréger celle d’une ville, d’un peuple et d’un pays au bord de la rupture, une histoire à la rencontre de l’Histoire. Heavy Wings exprime à merveille ce ressenti et nous tire ainsi en arrière pour mieux accompagner une magnétique conclusion. Le mécanisme reste, la mélodie change. Un travelling arrière pour une mise en abyme, le visage de Noureddine se noie dans la foule en révolte, un coupable véreux s’en extrait, dans l’indifférence générale.

Difficile surement de saisir toute la subtilité de Krister Linder sans avoir, en préambule, apprécié le film. Autant que l’image jaunie et maladive, sa composition infiltre chaque pore de ce Caire confidentiel. Gina’s song en est peut-être la meilleure illustration, complainte enfumée où se mélange la matière sonore et la voix envoutante de Gina, interprétée dans le film par Hania Amar. Le point final d’une plongée étouffante, noire, pessimiste mais aussi, et c’est bien là tout le paradoxe, grisante et addictive. Un album qu’on réécoute avec appétit lors de longues virées nocturnes.

Le Caire confidentiel, bande originale de Krister Linder, à retrouver en physique chez Milan Records.