Chroniques

Nocturnal Animals
L’Abel bête


Par Hubert Charrier 10/01/2017

Malgré un sens esthétique largement prononcé, le pape du « porno chic » Tom Ford ne succombe pas à la plastique facile et racoleuse. Le générique captivant et morbide de Nocturnal Animals n’a rien du soufflé éphémère, c’est l’ouverture introspective d’un thriller passionnant. Dans cette mécanique, la composition d’Abel Korzeniowski tient une place de choix, apportant une patine intemporelle, l’élégance des grands classiques.

En guise d’introduction, des corps nus, empâtés et rebondis, gesticulant sous l’œil ralenti de la caméra. Le temps semble suspendu, impossible de manquer une miette de cette farce embarrassante, rendue magnétique par le thème raffiné d’Abel Korzeniowski, Wayward Sisters. Tom Ford a beau exposer la vacuité du monde qui le porte aux nues, Nocturnal Animals n’est pas une œuvre nombriliste ou hautaine. C’est un film impliquant, sans barrière, entretenant constamment le trouble entre fiction et réalité.

Trémoloxploitation

Afin de maintenir la tension, le cinéaste s’offre donc une nouvelle fois les services d’Abel Korzeniowski, déjà à la baguette de A single Man. De nouveau, les cordes sont au cœur de la composition mais le Polonais change ici son archet d’épaule et signe une partition bien plus triturée et angoissée, lorgnant avec brio sur les terres de Bernard Herrmann. 34 minutes de score, le juste nécessaire pour hanter durablement les esprits en modelant à volonté le temps.

Le temps, une abstraction qu’Abel Korzeniowski paraît dompter grâce à l’utilisation dominante du trémolo, un effet consistant à répéter une note ou un court accord inlassablement. On retrouve cette technique en introduction sur l’ouverture Wayward Sisters mais plus largement dans une grande partie des 13 morceaux de l’album. L’intelligence du compositeur, c’est de donner à cet effet assez de corps pour ne jamais lasser. Le trémolo peut être sensuel et chaud (Exhibition), hypnotisant (Restless) ou encore étouffant (Off the road, Crossroads) grâce à l’apport d’un souffle, de nappes électroniques ou d’amples accords de violons.

Parallèlement, le musicien développe des thèmes intimes et élégants. A Solitary Woman nous plonge dans le quotidien triste et vide de Susan (Amy Adams) quand Revenge inquiète et questionne, voyageant entre altos, violoncelles et contrebasses.Table for Two est une conclusion fatalement plus démonstrative mais tout aussi brillante du talent d’Abel Korzeniowski. Nocturnal Animals se pose en indispensable, pas un hommage mais bien une production à la hauteur des grands scores du film noir. Racé, sobre et profond.

Nocturnal Animals, bande originale d’Abel Korzeniowski, disponible chez Silva Screen Records