Chroniques

Roubaix, une Lumière
Et la musique fut


Par Hubert Charrier 15/10/2019

Hanté par le documentaire de Mosco Boucault, Roubaix, commissariat central, affaires courantes, Arnaud Desplechin décide de franchir le Rubicon et d’en livrer une adaptation à la fois personnelle et fidèle : Roubaix, une lumière. Présenté en compétition officielle, au dernier Festival de Cannes, le long métrage arpente la souffrance d’une ville et de ses habitants, pointant un paradoxe mystique, l’humanité tapie au fond de chacun, criminel ou non.

La réussite de Roubaix, une lumière tient, comme souvent, à un agrégat de talents. Toute l’intention se résume ici dans le titre : la lumière. Il y a d’abord la mise en scène d’Arnaud Desplechin, entre réalisme et fantastique, à l’aise et juste dans cette ville qu’il connaît si bien, retranscrivant avec amour une ambiance unique, plongeant Roubaix dans une brume épaisse, un froid éternel. Venant percer ce décor victorien, la lumière émane d’une galerie de personnage, principalement le taciturne commissaire Daoud, incarné avec force par Roschdy Zem. Orpailleur de l’âme, il ressent, comprend et nous garde de juger, offrant à nos yeux une humanité dépouillée, notamment ces deux amantes, Claude et Marie.

De la réalité au conte

C’est dans cette réalité que la partition de Grégoire Hetzel se diffuse, immersive et vaporeuse. Au carrefour de multiples inspirations, face à des demandes qu’on imagine spécifiques, le compositeur garde une homogénéité remarquable. Première de ces influences, la bande originale de Ryuchi Sakamoto et Alva Noto, The Revenant. Après un calque évident du Main Title, le musicien s’extirpe rapidement du redite. Si le score partage ce mécanisme caractéristique de vagues amples, lentes et cassées, mais aussi de souffle permanent, il offre une diversité et surtout une lumière, qui le distingue singulièrement de son ainé.

Pour obtenir cette couleur, l’instrumentation joue un rôle majeur. Harpe, harmonica de verre, célesta, Grégoire Hetzel use d’une large palette pour aérer considérablement le propos et tirer le film vers la fiction, le fantastique, le conte (Dos Santos, Louis, La maison brûlée, Lever du jour, La lumière), n’oublions pas que l’action du film se déroule en pleine période de Noël. Dont acte. Plus étonnant et déroutant, le travail sur les bois et notamment la présence notable du shakuhachi, cette flûte caractéristique de la culture chinoise et japonaise. Peut-on y voir une représentation du commissaire, figure sage et tutélaire, en retrait et pourtant toujours en prise avec l’histoire et ses personnages ? Le morceau pivot La Reconstitution nourrit largement cette hypothèse.

Citant astucieusement Trisan et Isolde de Wagner (Vers la prison), on retrouve le goût du Parisien pour la musique romantique. Toujours présente aussi, la filiation avec Bernard Herrmann, une part de mystère insondable, suggérée par l’admiration de Desplechin pour l’œuvre d’Hitchcock. Une étreinte qui se desserre pourtant. Détaché, plus libre, Grégoire Hetzel nous offre une partition riche, parfois fortement influencée mais cohérente et indispensable au film. En plus de participer à l’atmosphère fantastique, son travail éclaire les scènes et donne aux âmes, même les plus sombres, une once d’humanité. Tout est dans le titre, la musique se fait lumière.

Roubaix, une lumière, bande originale de Grégoire Hetzel, à retrouver sur La Grande Évasion et en numérique sur toutes les plateformes.