Star Wars ou la renaissance
du symphonisme
C’est en 1976 que le jeune Steven Spielberg, très enthousiasmé par leur récente collaboration sur Jaws (Les Dents de la Mer), présente John Williams à Georges Lucas. Le musicien est rapidement séduit par le dynamisme et l’imagination du réalisateur, alors à la recherche d’un compositeur pour son prochain film.
Williams est pourtant loin d’imaginer que cette collaboration va donner vie à la plus célèbre saga cinématographique du XXème siècle : « Je pensais qu’il s’agissait d’un film pour enfants du samedi après-midi, […] que ça marcherait bien, pas que ce serait le succès mondial que c’est devenu, et je n’aurais jamais imaginé que les suites existeraient et seraient tout autant couronnées de succès. » (1)
A cette époque encore nimbée des effluves du flower power, la musique symphonique ne bénéficie plus vraiment des faveurs du public ou des exécutifs des studios hollywoodiens. Une lente baisse de popularité qui s’est initiée dans les années soixante : The Graduate (Le Lauréat), mis en musique par Simon & Garfunkel, et un peu plus tard Easy Rider ont en effet démontré aux studios qu’il pouvait exister une autre façon de faire du profit autour d’un succès cinématographique. Les bandes sonores constituées de chansons à succès se multiplient tant sur les écrans que dans les bacs des disquaires, accédant fréquemment aux charts des meilleures ventes de disques. Une approche plus économique qu’artistique qui séduit les studios et fera commercialement ses preuves les années suivantes, et qui perdure encore aujourd’hui. George Lucas en sera d’ailleurs lui-même l’instrument, faisant appel à une sélection de tubes rock ‘n roll des années cinquante et soixante pour construire la bande-son d’American Graffiti, dont l’énorme succès en salles à sa sortie en 1973 permettra au réalisateur de mettre en chantier son projet suivant : Star Wars (La Guerre des Etoiles).
Sorti sur les écrans américains en mai 1977, Star Wars est une charnière dans l’histoire du cinéma, marquant un retour au néoclassicisme en réinterprétant les traditions du passé. Adoptant de nombreux archétypes, du western au film médiéval, de la romance aux films d’arts martiaux, le film signe aussi une résurgence des qualités émotionnelles du romantisme. Depuis les années cinquante, les arts en général étaient plutôt dominés par une structure intellectuelle tendant à se méfier de l’émotion. Mais à partir des années soixante-dix, un nombre important d’artistes aspirent à baigner leurs œuvres d’un contenu émotionnel plus important. Dans Star Wars, le lien avec le romantisme traditionnel est évident avant même qu’apparaissent les premières images : « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… »
La musique de Star Wars revient elle aussi à certaines caractéristiques traditionnelles des partitions de cinéma de l’Âge d’or en faisant usage d’un orchestre symphonique. Un choix inscrivant définitivement le film dans une vision post-romantique directement héritée de Richard Strauss et de ses contemporains. L’illustration musicale y est constante : les faits et gestes mais aussi les différents états émotionnels des personnages sont projetés dans la musique qui accompagne l’image. On y trouve aussi une unité à travers l’utilisation du leitmotiv et de ses multiples transformations thématiques. L’orchestre y est utilisé de façon classique : les cordes pour leurs qualités lyriques, les cuivres pour leur puissance, les bois pour leurs couleurs individuelles…
Modeste, John Williams minimise l’impact que sa partition pour Star Wars (et, auparavant, pour Jaws [Les Dents de la Mer], qui lui offrit en 1976 son second Oscar) peut avoir eu sur le cinéma de cette période : « Je pense que si l’usage de l’orchestre symphonique s’est raréfié dans les années cinquante et soixante, c’était simplement parce qu’il n’était plus à la mode. Quelqu’un aurait fini par le remettre au devant de la scène. L’orchestre est trop utile et apprécié pour ne pas revenir. […] On ne peut pas vraiment parler de renaissance, juste d’un retour en grâce. » (1)
Premier film sorti en Dolby Stereo, qui représentait un important bond en avant dans la fidélité de la reproduction sonore, Star Wars valut pourtant à son auteur un troisième Oscar, et le double album édité à la sortie du film allait s’écouler à plus de quatre millions d’exemplaires, en faisant la meilleure vente de l’histoire du disque pour un album n’appartenant pas à l’univers de la pop music. Le succès phénoménal du film et de sa partition provoquera dans la foulée un regain d’intérêt pour la musique symphonique qui allait durer bien après la fin de la trilogie. Le succès du score engendrera aussi une version disco du thème principal qui se classera au sommet des ventes de l’été 1977, et un concert tout entier dédié au film de George Lucas se tiendra la même année au prestigieux Hollywood Bowl de Los Angeles.
Initialement, George Lucas n’avait pourtant pas envisagé de faire appel à un compositeur pour mettre en musique son aventure spatiale, pensant plutôt illustrer le film avec des sélections issues du répertoire classique, à la manière de ce qu’avait fait Stanley Kubrick dix ans plus tôt pour 2001 : A Space Odyssey (2001 : l’Odyssée de l’Espace). Une approche également influencée par l’une des principales sources d’inspiration de la saga de Lucas, les serials populaires des années trente, en particulier les aventures de Flash Gordon, qui utilisait l’un des Préludes de Franz Lizst en guise de générique.
Lorsque George Lucas projette à John Williams un premier montage du film, celui-ci est donc déjà largement accompagné de musiques préexistantes : les Planètes de Gustav Holst, le Sacre du Printemps de Stravinski, le Boléro de Ravel, des musiques d’Anton Dvorak et de William Walton, et même une pièce du Ben-Hur de Miklos Rozsa (dont on retrouvera l’influence directe, deux décennies plus tard, dans la Flag Parade du premier épisode de la seconde trilogie Star Wars). Mais si cette sélection s’avère fort utile au réalisateur pour communiquer ses attentes en termes d’illustration musicale, l’usage de morceaux préexistants montre aussi les limites d’une technique ne permettant pas de choisir un passage thématique, puis de le développer et de l’associer à un personnage ou à une idée tout au long du film. D’où la décision finale de confier la musique de Star Wars à un compositeur de culture classique, une opportunité saisie avec enthousiasme par un Williams séduit par la vision de Lucas : « Ce que George a prouvé avec la musique temporaire, c’est que cette disparité musicale était exactement ce qu’il fallait au film, et je pense que ses instincts étaient justes. C’est une approche très inhabituelle pour un film futuriste, mais la musique fait ainsi le rapprochement avec les personnages et les problèmes humains. » (1)
A l’opposé des films de science-fiction des années cinquante, Lucas ne souhaitait en effet pas souligner l’étrangeté de son univers par une musique bizarre souvent caractérisée par le thérémine ou les sons électroniques des ondes Martenot. Si l’univers visuel du film présentait des mondes abstraits et étrangers, la musique se devait d’être émotionnellement familière, comme le souligne Williams : « Ce n’était pas une musique qui devait décrire une terra incognita mais tout le contraire, une musique qui devait nous rapprocher du souvenir d’émotions familières, ce qui pour moi, en tant que musicien, se traduisait par l’usage de l’idiome opératique du XIXème siècle. » (1)
Si cette approche classique peut être considérée comme un pas en arrière en termes d’inventivité, la démarche musicale de John Williams, en apparence simple, consiste surtout à donner une ampleur mythologique à l’histoire. Le compositeur a d’ailleurs confessé l’influence que le mythologue Joseph Campbell a pu avoir, au-delà des films eux-mêmes, sur l’approche musicale adoptée : « Je me souviens que Joseph Campbell, […] qui était un ami de George Lucas, vint au Skywalker Ranch pour parler des films avec George. […] J’ai plus appris sur le film de la part de Campbell qu’en travaillant dessus ou en le regardant en tant que spectateur. » (1)
Williams avait trouvé le parfait support pour mettre en œuvre son talent wagnérien, Star Wars constituant une forme de relecture du cycle Der Ring des Nibelungen (L’Anneau du Nibelung) du musicien allemand. Le terme space opera fréquemment utilisé pour décrire la saga souligne d’ailleurs cette parenté. Il est donc aisé d’établir une comparaison entre cette première trilogie et un opéra en trois actes, et c’est exactement ainsi que Williams considère rétrospectivement son travail, alors même qu’il ignorait en 1977 que le film n’était que le début d’une épopée : « La musique est un élément de personnification de l’histoire. Il y a au travers de la partition une identification des personnages qui est très proche de l’opéra. Elle devient ainsi un élément narratif du récit. Une mélodie pour un personnage, de la musique pour colorer une scène. » (2) « Star Wars a été construit comme un seul film, avec une histoire et une fin bien précise. Le succès a permis à George Lucas de faire deux autres épisodes, mais jamais cela n’a influé sur l’écriture du premier épisode. […] Je pense que si le score a une unité architecturale, cela résulte d’un heureux accident. J’ai abordé chaque film comme une entité indépendante : le premier à partir de rien, le second connecté au précédent […] C’était une métamorphose naturelle bien qu’inconsciente des thèmes musicaux qui a créé un lien architectural bien plus conscient que ce que j’avais envisagé initialement. » (1)
S’il n’en a pas inventé le concept, le leitmotiv est tout particulièrement associé à Richard Wagner, qui l’a développé bien au-delà de ce qui avait été fait auparavant, affinant cette technique qui consiste à en faire la base d’une large structure musicale, à lier des phrases mélodiques avec des personnages précis ou des éléments distincts de l’histoire afin de les répéter et de les faire évoluer à loisir selon les besoins de la narration pour signifier un personnage, un lieu, un objet, une émotion… Cette technique souvent utilisée dans l’opéra s’est très vite imposée au cinéma et fut fréquemment utilisée par les grands compositeurs des années trente (Max Steiner, Franz Waxman et tout particulièrement Erich Wolfgang Korngold) avant d’être perpétuée dans les décennies suivantes par leurs successeurs (Alfred Newman, Bernard Herrmann et Miklos Rozsa , entre autres).
Une fois le jeu thématique assimilé par le public, le compositeur peut alors suggérer des relations complexes et subtiles entre les personnages et les idées en jouant sur ces motifs à différents tempos, avec différents instruments utilisés selon différentes combinaisons. Cette approche est particulièrement efficace parce que le public présente une réaction émotionnelle plus forte à une information transmise par la musique qu’à la même information transmise par la parole. Dans leur variété et leurs multiples développements, les musiques de John Williams concourent donc à l’association automatique par le public des thèmes avec leurs personnages respectifs. Les tons changent sans cesse, et chaque mélodie est tellement mémorable qu’elle peut aisément être chantée, ou tout du moins sifflotée à la sortie des salles de cinéma.
Mais trouver l’identité musicale du film ne sous-entendait pas forcément que celle-ci fonctionnerait pour le public. A cette époque, les films de science-fiction étaient très rarement des succès, et y incorporer une partition entièrement symphonique ajoutait un risque supplémentaire à l’entreprise. Mais Lucas ne se contentait pas de faire un film, il créait un univers rendu crédible par l’injection d’un degré subtil mais approprié de familiarité. Williams allait ainsi prouver que non seulement il savait ce dont le film avait musicalement besoin, mais qu’il était aussi à l’écoute des attentes du public.
La construction thématique du premier film de la saga, A New Hope (Un Nouvel Espoir) s’appuie principalement sur trois motifs. Le plus connu, celui de Luke Skywalker, est souvent cité comme étant également le thème principal de Star Wars. Il se décompose en deux sous-motifs, dont le premier est décrit par Williams comme « idéaliste et héroïque, […] avec une tonalité exaltée […]. Plus grand que Luke Skywalker, l’idéalisme de ce dernier étant plus le sujet que le personnage lui-même. » (1) Basée sur le registre le plus éclatant des trompettes, des cors et des trombones, l’ouverture est une fanfare qui contraste avec le second motif plus lyrique, romantique et aventureux. D’où un aspect cérémonial pas très éloigné d’une marche comme Williams lui-même en composera tant par la suite.
Le second thème majeur est celui d’Obi-Wan Kenobi, associé également à la Force mystique qui donne aux Jedi leur pouvoir. Plus introspectif, voire contemplatif, ce thème évoluera jusqu’à se transformer, à la fin du film, en une marche triomphante. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’au fil de la trilogie, au fur et à mesure de la découverte puis de la maîtrise de la Force par Luke Skywalker, le thème d’Obi-Wan deviendra progressivement celui de Luke tandis que le motif associé à ce dernier évolue jusqu’à devenir le thème principal de la saga, détaché de toute association à un personnage spécifique. Quant à la Princesse Leia, elle se voit offrir un thème qui, au lieu de mettre en avant la personnalité indépendante et combative de la jeune femme, souligne qu’elle est aussi (et surtout ?) l’objet du désir romantique pour les deux personnages masculins qui l’entourent. Ce thème disparaitra des deux opus suivants, et il faudra attendre plus de 25 ans pour le voir revenir en force en 2005 dans Revenge Of The Sith (La Revanche des Sith), bouclant la boucle puisque les évènements qui y sont décrits mènent directement au film de 1977.
Alors que l’on peut noter dans A New Hope de nombreux emprunts au répertoire, Williams s’est ensuite de moins en moins appuyé sur les références classiques pour les partitions suivantes. Pour aborder le second opus, le compositeur se devait d’éviter soigneusement de refaire la même chose sans pour autant s’éloigner radicalement d’un son déjà établi et universellement accepté. Une bibliothèque de thèmes existant déjà, il lui restait à développer une composition originale qui devait se fondre de manière organique à la partition du précédent film. The Empire Strikes Back (L’Empire Contre-Attaque) entraîne cependant un changement de ton, la musique reflétant bien plus que dans le précédent le désarroi des personnages. Les thèmes déjà existants sont utilisés suivant un schéma similaire à celui du précédent film, et les nouveaux thèmes sont essentiellement employés pour mettre en valeur certains lieux ou situations.
Trois nouveaux développements thématiques peuvent cependant être soulignés. Dans le précédent épisode, l’Empire maléfique qui domine la galaxie n’était illustré que par motif mineur. Cette fois, l’écrasante machine de guerre impériale et son redouté représentant sont au centre des enjeux, une position parfaitement décrite par les sonorités martiales du The Imperial March (Darth Vader’s Theme). Un nouveau personnage, celui du maitre Jedi Yoda, fait également son apparition. Malicieux et lyrique, son thème reviendra sous de multiples variations dans tous les films suivants (et sera même cité par Williams dans sa partition pour le E.T. de Spielberg). Enfin, la Princesse Leia perd son thème pour en gagner un autre qui illustre sa romance avec Han Solo (il est d’ailleurs intéressant de noter que Solo, le personnage le plus adulte et complexe des deux premiers films, n’a pas de thème propre. Il n’est caractérisé que par ce Love Theme qu’il partage avec la Princesse).
Après un second volet sombre et dramatique, Return Of The Jedi (Le Retour du Jedi) caractérise un retour de Lucas vers un univers plus enfantin, désamorçant au passage tous les enjeux mis en place dans The Empire Strikes Back. Un changement de ton dont la saga Star Wars ne sortira plus vraiment et qui sera même renforcé par la seconde trilogie. Ce déséquilibre se ressent d’ailleurs très clairement dans la musique : au-delà de l’usage récurrent des leitmotiv mis en place dans les deux films précédents, les nouveaux thèmes ne sont destinés qu’à des personnages secondaires (Jabba, les Ewoks) qui n’ont qu’un impact réduit sur les personnages centraux… Williams y introduit également, pour la première fois, les chœurs pour caractériser le thème de l’Empereur, grand maître des forces du mal. Rétrospectivement, le compositeur est cependant satisfait de la cohérence musicale de cette première trilogie : « Maintenant que je regarde en arrière, les musiques semblent unifiées, […] juste une seule et unique partition plus longue que les scores habituels. » (1)
En 1997, George Lucas profite du vingtième anniversaire de la saga pour préparer une nouvelle génération à la déferlante que sera la seconde trilogie Star Wars alors en pré-production. Ressortant en salles, et en grande pompe, les trois premiers films, il saisit cette occasion pour pratiquer sur la trilogie originelle un révisionnisme très contesté qui s’étendra jusqu’à la musique, Williams devant entre autres revoir sa copie pour le final de Return Of The Jedi. Deux ans plus tard, la saga Star Wars envahit de nouveau les écrans avec The Phantom Menace (La Menace Fantôme). On constate d’emblée que Williams n’accorde plus autant de place aux leitmotiv qu’il ne l’avait fait auparavant : « Il y a une thématique forte sur The Phantom Menace, mais les motifs sont toutefois moins symboliques, moins archétypaux. […] Cela vient avant tout du rythme du film, qui est beaucoup plus soutenu et rapide. […] J’ai dû m’adapter à ce nouveau rythme, à ces personnages moins développés […]. Mes motifs s’en sont donc ressentis car ils sont moins récurrents et donc bien moins individuels. » (3)
Un nouveau challenge se présente également au compositeur : puisque les évènements contés se déroulent bien avant ceux de la précédente trilogie, Williams doit y suggérer les bases thématiques qui ont déjà été développées vingt ans auparavant, en particulier tout ce qui a trait au personnage d’Annakin Skywalker, qui deviendra trois films plus tard la figure maléfique de Darth Vader : « Le thème d’Annakin a été écrit à l’envers, de la même façon que George a conçu son script. C’est vraiment le thème de Darth Vader décomposé et reconstruit. On peut y entendre les intervalles de la structure de la marche impériale, une pièce maléfique sur la puissance de l’empire, transformée en une pièce douce, lyrique, juvénile. » (4)
Contrastant avec la légèreté apparente du thème d’Annakin, l’autre pièce maitresse du film est un hommage éclatant au Carmina Burana de Carl Orff si souvent employé à Hollywood. Duel Of The Fates donne en effet au chœur une importance jusqu’alors inédite dans l’univers de Star Wars, renforçant ainsi l’aspect mystique de l’affrontement des forces du bien et du mal. Mais depuis la première trilogie, le temps a passé, et les méthodes de travail ont beaucoup évolué. Le montage numérique permet désormais de modifier le film jusqu’au dernier moment, contraignant bien souvent les compositeurs de cinéma à travailler sur un film en perpétuelle évolution. La partition de Williams pour The Phantom Menace en est largement affectée : « J’ai écrit ma partition sur un premier montage. […] Un second montage a été effectué. J’ai fait des changements nécessaires et adéquats. Mais la plupart du temps, cela s’est terminé en suppression de mesures complètes. La cohérence en a été affectée. » (3)
Malheureusement, les coupes et remontages successifs subis par le film ne s’avèrent être qu’un avant-goût, le phénomène prenant une ampleur alarmante sur le second opus, Attack Of The Clones (L’Attaque des Clones). La partition y est plus maltraitée encore, des pans entiers des compositions originales de Williams disparaissant au profit d’un montage hétéroclite de pièces musicales extraites du film précédent. Bien loin de l’élément essentiel à la narration qu’elle constituait sur la première trilogie, la musique est y désormais utilisée plutôt comme un papier peint musical, parfois à peine audible tant elle est écrasée par un volume d’effets sonores en constante augmentation. Malgré le magnifique Across The Stars, hommage passionné aux grands thèmes d’amour flamboyants de l’Âge d’or, le travail du compositeur s’avère de plus en plus dénaturé.
Williams terminera malgré tout la trilogie avec les honneurs, sa partition pour Revenge Of The Sith achevant de tisser le canevas musical qui lie le film à la trilogie initiée en 1977, en dépit des nombreuses incohérences scénaristiques truffant le film de Georges Lucas. Moins retouché au montage que les deux précédents, le score fonctionne comme un patchwork musical utilisant une multitude de citations des éléments thématiques tant de l’ancienne que de la nouvelle trilogie. La conséquence directe de cette orientation est que le matériau thématique original est ici moins prégnant, à l’exception d’une pièce symbolisant l’affrontement final des principaux protagonistes, qui se place comme le pendant de Duel Of The Fates et officie dans une tonalité plus sombre que jamais et un usage massif des chœurs. Malheureusement, comme pour Attack Of The Clones, il est relativement difficile d’embrasser dans son ensemble la cohérence thématique et stylistique de Williams pour cette nouvelle trilogie : il faudrait pour cela entendre la totalité de ce qu’il a composé, dont une quantité importante de musique inutilisée dans le montage final et qui n’a pour l’instant pas trouvé le chemin de l’édition discographique.
Paradoxalement, en rendant hommage au passé, les partitions symphoniques de John Williams pour les films de la saga Star Wars ont permis de façonner le futur de la musique de film, en faisant l’une des séries les plus consistantes, thématiquement parlant, de l’histoire du cinéma. Même s’il s’en défend en toute modestie, il est indéniable que Williams a donné naissance à une nouvelle ère pour la musique orchestrale en lui offrant une popularité jamais atteinte auparavant. Elle est désormais attendue et désirée par le public qui, le plus souvent à un niveau inconscient, valide sa nécessité dans la structure narrative d’un film. Un phénomène qui, si l’on compte le nombre de blockbusters faisant chaque année appel à l’orchestre symphonique et à l’usage du leitmotiv, ne semble guère en passe de disparaître. Pour preuve, The Force Awakens (Le Réveil de la Force), le septième épisode de la saga Star Wars, le plus énorme blockbuster de l’année 2015, qui permet de nouveau à John Williams, 83 ans, d’enrichir le canevas qu’il a commencé à tisser il y a déjà presque quarante ans, dans une galaxie lointaine, très lointaine…
(1) in Film Score Monthly – Vol. 2, No. 1 (Janvier/Février 1997)
(2) in Main Title n° 20, Vol. 1 (1999)
(3) in Dreams to Dreams – N° 16 (Hiver 1999)
(4) in Music From The Movies – No. 24 (Été 1999)
Texte initialement publié dans John Williams, un alchimiste musical à Hollywood, L’Harmattan, 2011.